Deux jours avant le 17 septembre

Publié le par Peleran

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         La gare Montparnasse à Paris est bondée. Ne la connaissant pas, je ne sais où aller lorsque je sors du train. Nous sommes le jeudi 15 septembre 2011, et j'ai quitté St Cast le Guildo le matin même. J'erre donc à travers la foule, tentant de comprendre comment le génie de la machine parisienne s'est organisé pour fluidifier l'afflux de ses contingents. L'étage où je suis ne communique avec l'entrée que par des escaliers roulants, mais à leur entrée et sorties, des bites de métal en faction, aux rang serrés, empêchent mon vélo de passer. J'arrive donc à trouver l'ascenseur, et c'est avec difficulté, devant lever mon vélo sur sa roue arrière que j'arrive à faire refermer la porte. J'envoie donc la cabine au rez-de chaussée, et lorsque la porte s'ouvre, c'est un vrai défis que de ressortir mon vélo. J'y arrive pourtant après une bonne lutte, et je gagne enfin la sortie. Je trouve donc l'entrée pleine de monde, avec quelques échoppes de vendeurs, et de l'autre côté la tour Montparnasse, se dressant, hideuse, en plus de cela en travaux, pour la désamianter il parait. Va enlever un tel poison ! Sur ma gauche, je vois une grande avenue, au trafic intense, où les automobilistes parisiens s'évertuent à empoisonner leur air pour aller plus vite. Je gagne un banc et prends le temps de réfléchir à quoi faire, maintenant que je suis dans la capitale. Je contemple le spectacle infernal de ce cher Paris dont on me parle tant. Le temps d'une cigarette, je m'en fait taxer trois, préférant donner mon tabac espagnol plutôt que ce qu'il me reste de monnaie.

 

         Les rendez-vous indignés se faisaient à la Bastille cet été, voyons si je peux trouver quelques chose là bas. Une femme m'indique le lieux sur une carte de Métro, et je cherche donc sur ma carte comment m'y rendre. C'est plutôt simple, quelques avenues, traverser la Seine, à nouveaux quelques avenues et voilà. Je tente donc mon entrée dans la course folle des bagnoles. Je parviens à m'insérer dans le trafic et bien que peu sûr de mon environnement, je me contente de suivre les voitures devant moi et d'aller tout droit. Je ne double que dans les files des feux rouges, me faufilant entre les automobiles à l'arrêt. Mon regard se porte quand je peux sur le « paysage» de Paris. J'arrive à trouver la Bastille sans grande peine. La grande statue, érigée en honneur du 14 juillet est clairement impressionnante. Bel édifice, à la gloire d'une révolution dont on parle tant, et dont il reste si peu, si ce n'est cette colonne. Je fais le tour de la grande place, et ne trouve rien devant l'opéra, si c'est n'est deux CRS surveillant les marches. Finalement, ce n'était peut être pas une si bonne idée que de venir ici. Mais alors que je roule dans le Boulevard Richard Lenoir, j'entends crier mon nom par une voix familière. C'est Bastien ! Il déjeune un sandwich, accompagné d'un autre gars, que je ne connais pas, sur une murette de l'allée piétonne centrale. Ils étaient en train de distribuer des tracts, mais se sont accordés une pause. Nous parlons un moment. Il me raconte les événements de la marche depuis que nous nous sommes quittés avant Poitiers, et la situation sur Paris. Il m'informe qu'une réunion avec les gens de Paris est prévue à sept heure, juste au début du boulevard. Au bout d'un moment, il me quitte avec son collègue, repartant tracter dans le métro. Je me retrouve donc à nouveau seul, mais au moins la providence m'a fait rencontrer la personne qu'il fallait, à laquelle je ne m'attendais bien sur pas du tout, et j'ai toute les infos qu'il faut. J'ai de plus trois bonne heures devant moi, et je pars donc visiter la ville. Je déambule donc au grès des feux rouges, me laissant guider par la circulation.

 

        À 18 heure 30, je suis à nouveau sur le Boulevard Richard Lenoir. Je me pause sur un banc, près d'un parc enfant, où une bande de mômes courent dans tout les sens. Mais une petite fille pose son regard sur le masque de Guy Fawkes, accroché à la sacoche de mon guidon et repars à toute allure dans la direction opposée, morte de trouille . Un gamin, ayant vu la scène vient me demander de pouvoir jouer avec. Je lui décroche en lui demandant de bien y faire attention, et lui raccourcis l'élastique. Super content, il s'en revêt et pars à l'assaut de ses petits camarades. Tous fuient devant ce petit énergumène, affublé d'un masque ricaneur complètement disproportionné par rapport à sa petite taille. L'enfant passe ensuite le masque à l'un de ses camarades, et déguerpi lorsque l'autre le regarde, une fois masqué, effrayé par ce qu'il avait lui même, juste avant, sur le visage. Au bout de quelques minutes, le premier gamin me ramène le masque en me remerciant, mais je vois sur le visage des mères que cet emprunt ne l'est a pas tout à fait enchantées. Tampis, je continue mon goûter de bananes et observe la faune parisienne en mouvement perpétuel. Je me déplace un peu et gagne l'endroit du rendez-vous. Je n'y retrouve personne, et reste donc à attendre. Au bout de vingts minutes, deux personnes interpellent mon regard. L'un est grand, fin, des lunettes sur le nez, les cheveux broussailleux, autant que la barbe, le tout d'une couleur gris/blanche, et porte un grand manteau marron. Il me fait un peu penser à ce que pourrais être Gandalf, sorti de son livre pour se perdre dans Paris. Le second lui est plus petit, plus corpulent les cheveux aussi long, de la même couleur que le premier, et dans le même état. Je ne me souviens hélas du nom d'aucun des deux. Je leur fait signe, et tout deux approchent, se présentant comme « indignés parisiens », en plus de leur nom. Nous parlons un moment, mais nous sommes toujours que tout les trois. Les deux partent donc voir si personne n'est allé devant les marches de l'opéra plutôt qu'ici. Ils reviennent rapidement, bredouille. Cependant, ils reçoivent l'info qu'un rassemblement à lieu place Beauvau. Cette place n'est rien de moins que là où siège le ministère de l'intérieur, et surtout l'Élysée. Nous décidons donc de nous y rendre, moi trop content de me jeter dans la gueule du loup à peine arrivé à Paris.

 

        Je retrouve donc les quais de la Seine et descend le fleuve jusqu'au Louvre. Je passe ensuite par le grand jardin, et me retrouve devant l'obélisque de la Place de la Concorde. Je gagne les Champs Elysées, et tente de trouver la rue sur ma droite conduisant à la maison que les français financent généreusement à leur cher Président. J'arrive donc place Beauvau, bondée de flics. J’aperçois le rassemblement, sur ma droite, contenu dans une petite rue par un nombre important de CRS. Je préfère ne pas m'attarder dans ce lieu trop longtemps seul (je me sens sûrement moins en sécurité sur cette place que dans n'importe quel lieu mal famé) ! Je gagne donc la ligne de CRS et demande à la traverser, souhaitant rejoindre les manifestants. Je ne sais pas trop pourquoi la manifestation avait été convoquée, mais je suis toujours bien content de me retrouver ici quelques jours avant le 17 septembre. J'ai de plus la chance de tomber sur Fran, l'espagnol qui s'était jeté sur l'enseigne du restaurant qui avait pris feu à Angoulême. Je le salut, et il me reconnaît de même. S'engage alors une conversation impossible. Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte, surtout avec son accent de je ne sais où, et lui ne capte pas un seul mot de français. Parmi la petite foule rassemblée, à peine une trentaine de personnes, je retrouve aussi Bastien, toujours autant occupé à tenter de moraliser un robot en armure. Au bout de cinq minutes, un groupe d'une vingtaine d'espagnols apparaît derrière nous, au fond de la rue, accompagné des deux vieux rencontrés peu avant. C'est espagnols là, je ne les connais pas. C'est en fait quelques uns de la Marcha Mediterranea, la marche venue de Barcelone et montant aussi à Bruxelles, comme la Marche Meseta, les deux marches formant donc les Marchas Bruselas. Les espagnols rajoutent un peu d'ambiance au groupe et c'est un rassemblement assez original qui se tient à deux pas du pouvoir français. Assis sur mon vélo, j'observe les « honnêtes » citadins bien habillés passer de l'autre côté du cordon de flics. Je suis plutôt fier d'être de ce côté de la matraque.

Neuf heure trente passée, les CRS en ont clairement marre de cet action inutile, et d'ailleurs nous aussi. Certains d'entre nous décident de partir, mais reviennent rapidement : il apparaît que l'autre côté de la rue est bloqué, lui aussi. Les deux issus de la rue sont donc gardées par les robots et personne ne peut en sortir. Un gradé, au képi décoré et à l'uniforme bien repassé nous annonce que nous ne pourrons sortir que ensemble, et qu'ils vont nous raccompagner au métro. Mais tous parmi nous ne veulent partir, et une mini assemblée se tient donc pour savoir quoi faire. J'observe la situation, toujours juché sur mon vélo, me foutant royalement de rester là où de bouger. Vers dix heure du soir, la plus part d'entre nous ont rejoins l'autre côté de la rue, et se pressent à présent contre un autre mur de flics. Les derniers sont enfin repoussés sur toute la rue, et les bleus, une bonne cinquantaine encerclent notre groupe de façon très étroite. Le képi décoré lance le pas, et nous gagnons donc les Champs Élysées sous haute protection. Dans nos rangs, la situation nous rend hilare, et nous ridiculisons nos gardes verbalement. Les espagnols rigolent entre eux, bien amusés eux aussi par cette escorte royale ! Les passants du trottoir sont bien étonnées de voir cette étrange colonne de flics encadrer un groupe tout joyeux ! Je me marre gracieusement en voyant le képi de tête traverser la route, d'un pas important, arrêtant les voitures d'un geste du bras, et se retrouvant à faire la circulation en plein milieu de la chaussée pendant que nous passons. Bastien recommence sa tentative de moraliser une armure, alors que j'en pourri une autre qui ne sait que baisser la tête et regarder droit devant. Mon vélo gênant, je me retrouve en queue du groupe, avec un autre cycliste. Celui-ci est parisien, et nous finissons le trajet en commentant cette situation burlesque. Arrivés devant le métro, tout le groupe y entre, sauf nous deux, restants entre les deux rangées de flics qui n'ont rien compris à notre problème. Nous leur expliquons donc clairement et avec des mots pas trop compliqués qu'un vélo n'entre pas dans un métro, surtout chargé comme le mien. La remarque fait sûrement bouillonner le cerveau de plus d'un, mais le haut képi parviens à résoudre l'épineux problème en décidant de nous laisser partir. Je monte donc sur mon vélo et lance un dernier « Ciao et à bientôt les gars » en sortant des rangs de robots.

Nous traversons donc Paris, de nuit, moi sans phare. Mon guide parisien me fait remonter le bords de la Seine, alors que j'observe les bâtiments de cette ville de lumière. Nous remontons ensuite une avenue qui nous conduit jusqu'à la Bastille. De retour au Boulevard Richard Lenoir, nous rejoignons tout le groupe, commentant la petite action, plus quelques autres personnes qui n'étaient pas là auparavant. Mais il apparaît que certaines personnes sont absentes, car un groupe s'est rendu à deux pas d'ici, Place des Vosges, pour aller foutre le boxon sous les fenêtre de Dominique Strauss Khan. Mon ami à vélo, un autre gars et moi nous dépêchons donc d'y aller. Mais la police est arrivée avant et nous réceptionne dès notre arrivée. Cette fois ci, pas d'armure, et les agents sont un peu plus disposés à parler. On a donc droit à un contrôle d'identité et alors que les fonctionnaires attendent les ordres, nous en profitons pour parler avec eux de la perversion de ce système qu'ils protègent. En fin de compte, notre dizaine de militants est raccompagnée au Boulevard Richar Lenoir sous escorte policière. J'ai alors la joie de retrouver Damien, qui cuisinait tout les soirs durant l'Acampada Baiona, servant chaque plat avec tout un accompagnement de paroles philosophiques. Il est bien sûr venu de je ne sais où avec tout plein de nourriture pour tout le monde. Nous mangeons donc un bon repas, bienvenu, par cette faim que j'avais au ventre. La police n'a pas bougé après nous avoir raccompagné de devant chez DSK et certains leur proposent de venir manger. L'invitation est déclinée. Une fois repus, le groupe se disperse. Les espagnols de la Marcha Mediteranea partent vers un squat, à Ivry. On m'explique comment m'y rendre sur la carte que j'ai récupéré. Je longe donc de nouveau la Seine, de la gare d'Austerlitz jusqu'à Ivry. Je galère un moment à trouver la rue, puis à trouver le lieu. Le bâtiment occupé est en fait une ancienne caserne de gendarmerie, d'où son nom, « Le Poulailler ». La Marcha Mediterranea s'est installée sous un préau, dans la cour. Les marcheurs y sont dispersés dans des canapés et je retrouve à nouveau Bastien et d'autres. Mais le sommeil me tient. Dans un coin de l'abri, derrière une table et tout un capharnaüm, je trouve une place suffisante pour y installer ma paillasse. Je gare donc mon vélo tout prêt et me faufile avec mes affaires de nuit jusqu'à cette antre improvisée.

 

Je fais le gros feignant le lendemain et ne me lève qu'aux environs de midi. Tout le monde est déjà actif et sur pieds. Personne n'était venu me déranger derrière ma table, et j'ai pu dormir tranquille. Je passe quelques heures dans le lieu. Je retrouve notamment Guillaume, venu faire je ne sais quoi. En début d'après midi, l'envie me prends de bouger. Je grimpe donc sur mon vélo et pars dans Paris. J'erre durant de longues heures à travers la capitale, rencontrant de belles bâtisses au gré de ma route. Vers sept heure du soir, je me rend à la Bastille. De nombreuses personnes sont rassemblées, plus que hier. Nous sommes sûrement un centaine. Je ne sais quel politicien ou homme connu est venu, amenant un essaim de journalistes derrière lui. L'assemblée se transforme en débat avec ce type, tout le monde assis, lui debout, toutes les caméras braquées sur lui. C'est toute l'horizontalité et le « non étiquetage » du mouvement qui est donc sapé. Au bout d'un moment, l'assemblée exprime clairement à son éminence d'aller voir ailleurs et nous recommençons donc à parler tranquillement. Rien n'est à décider dans cette assemblée, le micros est libre, et les gens passent tour à tour, venant s'exprimer de choses qui leur tiennent à cœur. Un repas est servi plus tard dans la soirée, et nous ne rentrons pas très tard au Poulailler. Une journée calme, avant la tempête prévue le lendemain...

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